26.2.07

RAPPORTS ENTRE UKRAINIENS ET JUIFS

Rapports entre Ukrainiens et Juifs: comment la mythologie remplace la réalité,
L. Finberg


Février 2007



Extrait de Ukraine, renaissance d’un mythe national, Actes publiés [en format pdf], sous la direction de Georges Nivat, Vilen Horsky et Miroslav Popovitch, par l’Institut européen de l’Université de Genève (pp. 145 à 156).



Traduction française par E. Solomarskaïa, avec la collaboration de Korine Amacher.

[Les astérisques qui affectent certains noms et/ou toponymes renvoient à l'Annexe I (pp. 225 à 247 du document référencé ci-dessus), intitulée "Glossaire: personnalités et lieux de mémoire d’Ukraine".]

Dans la hiérarchie des problèmes qui préoccupent la population ukrainienne, les rapports interethniques viennent à la neuvième place, après le niveau de vie, le chômage, le non-paiement des salaires et des pensions de retraite, l’accroissement du taux de criminalité, etc. De plus, les rapports ukraino-juifs ne figurent pas non plus en première place des problèmes des nationalités: viennent d’abord ceux des Tatars de Crimée, ensuite les rapports à l’intérieur de l’ethnie ukrainienne proprement dite, etc. Pourtant, le problème du rapport mutuel entre Ukrainiens et Juifs a une longue histoire : constamment présent dans les pages des médias, il ne cesse de retenir l’attention des hommes politiques, des historiens, des journalistes.



Hassan Husseinov, spécialiste de la culture russe, énonce les données de ce problème comme suit :


L’image d’autrui occupe une place importante dans la conscience collective. Aux moments critiques de l’histoire d’un peuple, lorsque ses propres traditions culturelles paraissent compromises, comme c’est le cas dans beaucoup de pays post-soviétiques, les images des cultures étrangères acquièrent, qu’on le veuille ou non, une valeur particulière quand il s’agit de réévaluer son identité nationale et culturelle.



Ce sont précisément ces raisons qui nous ont incité à traiter ce problème aujourd’hui : nous nous bornerons cependant à évoquer les rapports séculaires ukraino-juifs, tels qu’ils prévalaient sur le territoire de l’Ukraine-Rous*.



Si les rapports entre les diasporas et les contacts entre les Etats datent de l’histoire moderne, l’expérience de la vie commune sur le territoire de l’Ukraine est déjà presque millénaire. Toutefois, en raison d’une série de raisons objectives et subjectives, l’histoire des rapports ukraino-juifs n’a presque jamais fait l’objet d’une recherche sérieuse. Voilà comment le professeur ukrainien Iaroslav Dachkévitch, l’un des rares chercheurs dans ce domaine, décrit la situation: “L’historiographie soviétique a purement et simplement ignoré ce problème […]. La plupart des recherches réalisées dans ce domaine par les scientifiques de la diaspora produisent une impression pénible, sinon accablante” (pour ma part, j’ajouterai qu’il existe une exception à ce qui vient d’être dit: ce sont les travaux de Ivan L. Rudnytsky, historien canadien d’origine ukrainienne). Puis Dachkévitch ajoute:



L’historiographie juive soviétique en Ukraine orientale a pris fin au début des années trente, avec la liquidation (en partie par l’extermination physique) des membres de la Commission historico-archéographique juive de l’Académie des sciences de la République socialiste soviétique d’Ukraine. En Ukraine occidentale, la science historique juive disparaît dès 1939. Quant à l’historiographie moderne d’Israël et celle de la diaspora israélite, elles sont presque entièrement centrées sur le problème de la mort tragique, de l’extermination et des persécutions des Juifs (1).



Dachkévitch remarque que cette dernière période n’a duré que quatre ans, alors que pendant plus de trois cents cinquante ans, les rapports ont été plus ou moins “normaux”.



Depuis les travaux classiques de Symon Doubnov * et de Iouli Guessen *, qui datent du début de notre siècle, aucune recherche sérieuse concernant l’histoire des Juifs en Ukraine n’a été effectuée. En ce qui concerne l’histoire de l’Ukraine, la situation est légèrement meilleure: les années quatre-vingt-dix ont vu apparaître les premières monographies historiques neutres.



La nécessité d’une réflexion sur les rapports ukraino-juifs est toutefois si urgente qu’on ne peut pas la renvoyer aux décennies à venir. Des historiens et des philosophes, des sociologues et des journalistes donnent leurs interprétations. Un des modèles les plus pertinents a été proposé par le philosophe et publiciste ukrainien Miroslav Marinovitch: “Les peuples juif et ukrainien ont des modèles de survie différents”, écrit-il en 1991.



Les deux modèles ne sont pas comparables: les Juifs survivent dispersés parmi d’autres peuples, alors que les Ukrainiens vivent sur leur propre territoire […]. La vie parmi des substrats ethniques étrangers, souvent hostiles les uns envers les autres, a posé aux Juifs un impératif difficile: déterminer qui était le plus fort, une erreur d’appréciation pouvant mener à des conséquences tragiques. Les Juifs se sont tournés vers les intérêts de la partie la plus puissante, afin de garantir leur survie, dans les limites que le plus fort leur imposait. Dès lors, étant donné qu’au cours de leur histoire, les Ukrainiens se sont souvent trouvés du côté des plus faibles, on peut comprendre pourquoi la mentalité populaire a élaboré le stéréotype de l’animosité des Juifs envers les intérêts nationaux ukrainiens. Exiger des Juifs qu’ils se rangent du côté du plus faible était leur demander l’impossible et revenait à les priver de la principale condition de leur survie. […] Le meilleur moyen de ne pas avoir de mauvais rapports avec les Juifs est le suivant: devenir fort soi-même. Et lorsque l’Ukraine sera forte, les Juifs y trouveront naturellement leur place (2).



Rappelons encore quelques caractéristiques des rapports ukraino-juifs. Dans les manuels d’histoire édités en URSS qui, destinés à l’école secondaire, ont été à la base de l’éducation de plusieurs générations de Soviétiques, aucune mention n’est faite de l’histoire millénaire des communautés juives, du rôle des Juifs dans l’histoire de la Rous-Russie-Ukraine. Le seul manuel d’histoire pour l’école supérieure où il soit question de la communauté juive est celui édité en 1939-40. Les manuels soviétiques passent même outre la tragédie de la communauté juive européenne. Aucune mention de l’histoire et de la culture des Juifs n’est faite dans l’Encyclopédie philosophique, ni dans l’encyclopédie L’art des pays et des peuples du monde entier, ni dans l’Histoire de Kiev en trois volumes, ni dans d’autres ouvrages prestigieux de l’époque soviétique. L’histoire de l’Ukraine n’est pas beaucoup mieux relatée. Les manuels soviétiques “canoniques” ont impudemment falsifié l’histoire: on peut mentionner ici, et la “théorie” entièrement fausse de l’existence antérieure d’une nation unie composée de Russes, d’Ukrainiens et de Biélorusses, et la totale omission de la famine des années 1932-33, ainsi que la falsification de l’histoire de la seconde guerre mondiale (pas un mot sur l’armée ukrainienne rebelle, ni sur les millions d’Ukrainiens en captivité)...



Allonger cette liste serait aisé. En ce qui concerne la communauté juive, l’anecdote suivante est éloquente : en 1926, un procès intenté à un groupe de personnalités publiques juives accusées de sionisme se conclut par le verdict suivant: “A déporter en Palestine”. Vingt ans plus tard, en 1946, il ne restait plus ni sionistes, ni autonomistes, ni professeurs d’écoles juives, ni même membres de la police politique pour les exterminer, tandis que l’Académie ukrainienne des sciences eut à répondre à la question posée par la nouvelle équipe de la police politique (MVD)*: “Qu’est ce que le sionisme?”.



De tout cela, on peut conclure que, pendant plusieurs générations, les rapports ukraino-juifs ont été évacués des sciences humaines, en particulier des sciences sociales, et n’ont fait l’objet d’aucune interprétation sérieuse. N’est-ce pas là un sol fertile pour la création et la propagation de mythes?



Au cours de la Conférence ukraino-juive tenue en 1991 à Kiev, Evgueni Sverstiouk, célèbre défenseur des droits de l’homme et président actuel du Pen Club ukrainien, a dit:



C’est peut-être la première fois dans l’histoire que les fils de l’Ukraine et les fils d’Israël se rencontrent pour nettoyer les écuries d’Augias, ce qui n’a pas été fait durant des siècles. C’est ainsi que se sont accumulés des récits sur ce qui a été et n’a pas été, des légendes sur une animosité et une cruauté sans nom, sur le Juif tenant les clés de l’église et sur le Cosaque amateur de gibets. En guise de fer à cheval cloué sur la porte de cette écurie figure le stéréotype du Juif exploiteur et de l’Ukrainien instigateur de pogroms. L’essentiel est que, dans cette écurie, on ne trouve aucun des milliers de témoignages réels d’une coopération normale entre Ukrainiens et Juifs... […] A l’époque soviétique, une “plébéisation” presque totale de la culture s’est produite: qui connaît maintenant les paraboles de Salomon et les commandements de Moïse? Mais tout le monde connaît des anecdotes concernant Abraham et Mosché...



Que reste-t-il donc à nettoyer dans ces écuries, quels stéréotypes s’y sont accumulés au cours des siècles ? Peut-on changer les stéréotypes ? Nous allons parler, de manière plus détaillée, de la mythologie de la perception du peuple juif, en mettant l’accent sur les perceptions négatives.



Voici les stéréotypes de la perception du peuple juif (souvent, ces stéréotypes ne sont pas spécifiquement ukrainiens, et la plupart se retrouvent dans toute l’Europe de l’Est):



· la trahison et la crucifixion de Jésus Christ;

· l’idée d’un peuple élu – la première doctrine dans l’histoire de l’humanité concernant la supériorité d’un peuple sur d’autres peuples;

· la complicité des Juifs avec tous les ennemis du peuple ukrainien (Polonais, Russes, etc.);

· l’hégémonie juive dans le monde (capitaux, médias, etc.);

· l’exploitation économique des non-Juifs par les Juifs;

· la responsabilité des Juifs quant à la création de l’idéologie communiste et aux innombrables victimes des régimes communistes;

· l’holocauste, simple ruse des sionistes, mythe sioniste implanté dans l’histoire;

· la responsabilité des Juifs dans le pillage économique du pays;

· les Etats-Unis, colonie israélienne dirigée par le Congrès juif mondial.



Chacun de ces stéréotypes connaît de nombreuses variantes dans des dizaines et des centaines de publications des médias extrémistes (en général de droite, mais souvent de gauche aussi), dans des livres à gros tirages (pour la plupart édités en Russie, mais diffusés également en Ukraine)... Je citerai les plus typiques:



Dans le journal Pour une Ukraine libre, le commentateur politique judéophobe, Pavlo Tchéméris, effectue, en avril 1996, dans l’article "Rajouter : à fusiller", une sélection de citations qui commence ainsi (3) :



Chaïm Sroulevitch Goldmann – Vladimir Ilitch Lénine – éprouvait une haine zoologique envers les goyim. Devenu dictateur absolu au “pays des imbéciles”, ce conspirateur judéo-sioniste sanguinaire déploya le plus grand zèle à exterminer les gens, par la terreur de classe, la guerre civile, l’organisation de famines...



Ou encore ceci :



en parlant d’Oulianov-Lénine et de ses "personnages de l’ombre" [les bolcheviks], Hitler-Schicklgruber (4) écrivait dans Mein Kampf, pour mieux gagner la confiance des "masses" allemandes, que l’exemple le plus terrifiant de tout cela, c’était la Russie, où les Youpins, dans leur fanatisme sauvage, avaient exterminé trente millions de personnes [c’était en 1923], égorgeant sans pitié les uns, et faisant subir aux autres la torture inhumaine de la famine. Et tout cela pour assurer la dictature d’une petite bande de youpins littérateurs et de bandits spéculateurs.



Dans la revue L’Idéaliste, d’août 1996, l’article de Mykhaïlo Khrystovy intitulé "Pourquoi y eut-il, en Ukraine, une extermination par famine organisée ?", propose à ses lecteurs une série de questions, auxquelles il demande de répondre, promettant de publier ces réponses dans la revue (5). Voici quelques-unes de ces questions:



· Pourquoi dans les mondes musulman et bouddhiste, les youpins ne sont-ils pas admis au pouvoir, alors que dans le monde chrétien, où que l’on tourne son regard, on voit des youpins partout ?

· Pourquoi la Constitution adoptée en Ukraine est-elle ukrainienne dans sa forme, mais judéo-maçonnique dans son esprit, ne mentionnant jamais que l’Ukraine est un Etat chrétien ? […]

· Pourquoi n’y a-t-il en Israël que la seule synagogue [confession juive], alors que dans la seule région de Lviv, plus de cinquante confessions sont enregistrées ?

· Pourquoi n’y a-t-il pas de banquiers ukrainiens en Israël, ni en Ukraine non plus ? […]

· Pourquoi se méfie-t-on des youpins ukrainiens et leur envoie-t-on des rabbins de l’étranger ?

· Pourquoi certains youpins d’Ukraine occidentale ont-ils été déportés massivement avant la seconde guerre mondiale dans l’Est de la Russie, alors que d’autres sont restés sur place?



Le mythe anti-ukrainien du peuple ukrainien instigateur de pogroms s’appuie tant sur des faits authentiques que sur des faits falsifiés de l’histoire de la lutte pour la libération nationale : la Seconde Guerre mondiale, avec ses Polizai (policiers ukrainiens), les pogroms de l’époque de Bohdan Khmelnytsky *, en particulier en 1648, tout comme ceux de la koliïvchtchina * ("révolte des pieux") sur la Rive droite, en 1768. La mythologie anti-ukrainienne y inscrit aussi les pogroms du début du XXe siècle, les pogroms staliniens des années quarante et cinquante, "le pourcentage juif" de Khrouchtchev et la politique antisémite de Brejnev. Toutefois, « derrière tous les mythes modernes, se cache le traumatisme national fondamental de l’égorgement qui eut lieu à l’époque de Bohdan Khmelnytsky », écrit Leonid Pliouchtch * (6) :



C’est après cela qu’apparut l’hérésie des Juifs d’Europe orientale – le sabbataïsme –, qui faillit provoquer la scission du judaïsme. C’est cela qui marqua l’époque de Khmelnytsky d’un signe mystique, d’un mal apocalyptique... L’époque de Khmelnytsky est entrée dans l’inconscient du judaïsme moderne. La koliïvchtchina s’est superposée à ce traumatisme collectif et a provoqué une autre réponse religieuse, le hassidisme. Tous les événements ultérieurs sont venus s’ajouter à ce traumatisme profond.



Ainsi, le Juif tueur du Christ et l’Ukrainien instigateur de pogroms se sont-ils ancrés dans les mentalités, dans la conscience religieuse, dans le folklore, dans le langage parlé, tout comme dans les métalangues des cultures ukrainienne et juive.



Les textes anti-ukrainiens qui multiplient les stéréotypes correspondants ont franchi les limites de l’Ukraine. Leur nombre, leur influence sur les communautés juives des autres pays auraient pu constituer un objet de recherche en Israël, aux Etats-Unis, au Canada ; jusqu’à présent, à notre connaissance, rien de tel n’a été entrepris.



Quant aux intellectuels juifs et ukrainiens, ils ont tenté, et tentent encore de faire évoluer ces stéréotypes de la méfiance historiquement enracinés chez ces deux peuples.



Vladimir Jabotinsky *, l’un des rares dirigeants israélites à avoir bien connu les problèmes ukrainiens nationaux, a publié une série d’articles brillants consacrés aux leaders spirituels ukrainiens, sur l’inégalité et l’oppression du peuple ukrainien.



Symon Petlioura *, le dirigeant ukrainien du temps de la République * populaire d’Ukraine, a entrepris la publication de plusieurs textes judéophiles. Il a tenté, en tant que commandant de l’armée ukrainienne, de mettre fin aux pogroms des Juifs.



Le métropolite Andreï Cheptytsky *, un des esprits les plus éminents de la première moitié du XXe siècle, est l’un des rares dignitaires de l’Eglise à avoir lancé un appel en faveur des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Lui et ses compagnons ont caché dans les monastères galiciens des centaines d’enfants juifs; c’est lui qui a sauvé de la mort Kahan, rabbin de Lviv.



De son côté, Solomon Mikhoëls *, grand acteur de théâtre juif et homme public connu, a invité le célèbre metteur en scène ukrainien Les Kourbas* à travailler dans son théâtre, après que ce dernier eut été chassé d’Ukraine.



Des hommes de lettres bien connus, comme Ivan Dziouba * et Viktor Nekrassov * se sont publiquement prononcés contre le silence qui a recouvert la tragédie de Babyn* Yar, ainsi que contre l’antisémitisme qui régnait à l’époque soviétique.



Les actions de solidarité de l’opinion publique ukrainienne et juive des années quatre-vingts et quatre-vingt-dix sont autant de tentatives pour dissiper les mythes de l’antisémitisme et de l’ukrainophobie. Je pense aussi à l’appel du mouvement politique Roukh* contre les bruits répandus par le KGB sur d’éventuels pogroms, ainsi qu’à la Conférence de la solidarité ukraino-juive de 1991.



Quelle influence ont ces actes individuels, et bien d’autres actions encore, qui toutes visent à surmonter la méfiance, l’hostilité et l’intolérance? Les sondages de sociologues révèlent que l’intolérance envers les Juifs et le judaïsme s’alimente de stéréotypes et de mythologèmes. Je me fais l’écho de mes collègues Natalia Panina et Evguen Holovakha, sociologues ukrainiens de renom (7).



Des sondages analogues effectués depuis 1993 permettent de tirer la conclusion suivante: on remarque une augmentation de l’intolérance envers les Juifs et, à l’inverse, une plus grande tolérance envers les Polonais. D’autres données, recueillies par les mêmes sociologues, en disent encore plus long sur le thème qui nous intéresse ici: 7% des habitants de l’Ukraine interrogés sont d’accord avec l’idée du "complot sioniste mondial visant à instituer l’hégémonie des Juifs sur d’autres peuples" (25% ne partagent pas cette idée, 68% ont eu du mal à répondre); 10% considèrent que “les Juifs sont coupables envers d’autres peuples” (47% contre); 18% reportent sur les Juifs la responsabilité principale des malheurs entraînés par la Révolution et les répressions massives (47% contre); 20% trouvent que le physique des Juifs est désagréable et plus d’un tiers (38%) pensent que les Juifs apprécient plus l’argent et le profit que les relations humaines.



Tableau I

Attitude des habitants de l’Ukraine envers différentes nationalités




Consentiraient à admettre les représentants de cette nationalité en tant que... (% des personnes interrogées, N=1752)




membres de la famille


amis proches


voisins


collègues de travail


habitants de l’Ukraine


touristes


interdiraient le séjour en Ukraine


index de l’intolérance 1 à 7

Ukrainiens


79


9


3


1


7


2


0


1.55

Russes


43


24


10


3


11


7


2


2.46

Biélorusses


29


27


14


4


13


12


1


2.85

Ukrainiens de la diaspora


24


22


7


4


18


23


2


3.48

Polonais


15


22


14


4


12


28


5


3.77

Juifs


10


14


15


11


23


18


10


4.18

Hongrois


9


14


17


5


15


35


4


4.24

Américains


11


13


9


15


10


38


4


4.31

Allemands


8


13


9


16


12


37


5


4.43

Français


9


13


8


13


11


41


4


4.45

Roumains


8


12


13


6


14


38


8


4.56

Japonais


4


11


9


19


9


43


4


4.66

Tatars de Crimée


3


6


9


5


31


29


17


5.09

Géorgiens


3


8


9


5


16


34


26


5.26

Vietnamiens


2


7


6


9


10


52


14


5.29

Arabes


3


6


5


7


11


51


17


5.37

Noirs


2


6


5


6


11


50


20


5.49

Tziganes


3


4


7


3


22


26


35


5.55



Il nous semble aussi représentatif de citer les données du sondage effectué auprès des citoyens et des autorités locales par rapport au renouveau national des Russes, des Juifs et de Tatars de Crimée (voir la page suivante) (9).



Ce tableau permet de juger du niveau de tolérance de la société ukrainienne par rapport aux Juifs. Les événements liés à la personne de l’ancien Premier ministre, Efim Zviaguilsky (1995-96) sont typiques. Il a été accusé de corruption avec d’autres personnalités politiques qui prônaient l’indépendance ukrainienne. Laissant aux organes de la justice le soin de vérifier le bien-fondé de l’accusation, nous attirons l’attention des lecteurs sur un détail qui nous a frappé, notamment l’empressement de la société à accepter le stéréotype selon lequel Efim Zviaguilsky ne peut être un patriote ukrainien, car "il aspire au profit et agit à l’encontre des intérêts du peuple ukrainien". Tel était le sens de la plupart des publications à ce sujet. Et si la presse libérale était peu teintée d’antisémitisme, les journaux nationalistes, quant à eux, ont mené une large campagne antisémite (10).



Tableau II

Attitude des autorités locales par rapport au développement
de la gestion nationale des Russes, des Juifs et des Tatars de Crimée

Doivent-ils avoir leur(s) propre(s)


Russes


Juifs





Tatars de Crimée




oui


non


oui





non


oui


non




église, synagogue, mosquée?


92.1


7.9


91.2





8.8


91.4


7.6




écoles?


95.1


4.9


89.2





10.9


90.9


9.1




presse en langue nationale?


94.6


5.4


89.8





10.2


91.4


8.6




représentants dans les organes d’administration?


95.5


4.5


93.5





6.5


91.3


8.7




langue reconnue officiellement?


67.0


33.0


46.3





53.7


50.4


49.6




culture?


84.7


15.3


81.8





18.2


81.8


18.2




partis politiques?


67.4


32.6


66.4





33.6


66.4


33.6









Tableau III

Attitude des habitants de l’Ukraine envers les organisations juives



Quelle est votre attitude envers ces phénomènes en Ukraine?


positive


négative


sans avis

ouverture d’écoles en hébreu


63.5


15.2


21.3

ouverture d’une synagogue


51.3


19.0


29.7

existence d’organisations politiques et sociales juives


34.1


29.1


36.8

fonctionnement d’entreprises mixtes fondées par des Juifs émigrés


50.8


16.0


33.2





Quelle conclusion peut-on en tirer ? "Abandonnez tout espoir, vous qui entrez" ? Il paraît que toute la logique sociale, toutes les dimensions de la conscience publique prouvent la suprématie du mythe sur la réalité. Cela signifie-t-il, pour autant, que rien ne peut être fait dans ce domaine ? Absolument pas. On peut faire quelque chose, il faut faire quelque chose. Cependant, soyons réalistes, il faut bien admettre la puissance du mythe, qui a derrière lui une très longue histoire, qui est devenu un stéréotype des comportements, qui est entré dans les structures langagières, dans les dogmes des religions, dans les concepts. Et seuls les intellectuels peuvent faire contrepoids, bien qu’ils constituent une structure fragile de la civilisation humaine. Toutefois, les données des sociologues qui démontrent un accroissement de la tolérance ukraino-polonaise laissent entrevoir l’espoir d’une atténuation, à terme, des stéréotypes ukraino-juifs.



Leonid Finberg



© Institut Européen de Genève





-----------------------



Notes



1. Jaroslav Romanovic´DAS´KEVIC´, "Problematika vyvc´ennja jevrejsko-ukrajins’kyh vidnosyn (XVI–poc´atok XX st.) ", Svit, N° 3-4, 1992, p. 25.

2. Miroslav MARINOVIC´, "Yevreji ta ukrajinci: sproba tolerantnoji proekciji vzaiemnyh interesiv", Svit, N° 3-4, 1992, p. 21.

(3) Pavlo CEMERIS, "Dobavyty rozstril", Za vil’nu Ukrajinu, N° 49 du 23 avril 1996.

(4) Nom d’origine du père d’Adolf Hitler : Alois Schicklgruber (1837-1903), douanier autrichien incertain au sujet de sa propre filiation, il changea de patronyme en 1876, treize ans avant la naissance du futur chef national-socialiste. (Note des éditeurs.)

(5) Myhajlo HRYSTOVY, Idealist, N° 1 du 16 août 1996.

(6) Leonid PLJUS´C´, "Rol’ s´ovinistycn ´noji mitologiji v miznacional’nyh stosukah", Svit, N° 3-4, 1992, p. 4.

(7) Evgen HOLOVAHA, Natalija PANINA, "Nacional’naja tolerantnost’ i problemy razvitija nacional’no-kul’turnyh avtonomij v Ukraine", dans Politic´eskaja kul’tura naselenija Ukrainy, Kiev, 1993, pp. 87-97.

(8) Ibid.

(9) Ibid.
(10) V. MINDLIN, "Delo Zvjagil’skogo", Egupec (Kyiv) N° 3, 1997.

-----------------------



[Ouvrage aimablement signé par Michel Lévy.]



Mis en ligne le 26 février 2007, par M. Macina, sur le site upjf.org