11.12.07

RAPPELONS - NOUS 1803

Par Gurfinkiel Michel
Thème : Religions et Civilisations




L'Amérique venait d'acheter la Lousiane à Napoléon pour 25 millions de dollars. Année après année, elle avait versé la même somme, depuis 1776, aux "Etats voyous" d'Afrique du Nord : les Barbaresques. Finalement, elle fit ses comptes.

En 1803, les Etats-Unis fêtaient le 27e anniversaire de leur indépendance. Le pays comptait 5 millions d’habitants. Il venait de doubler sa superficie en achetant la Louisiane à Napoléon : non pas seulement l’Etat de Louisiane actuelle, 112 000 kilomètres carrés, mais l’ensemble des territoires situés entre les Rocheuses, le Mississipi et le golfe du Mexique, correspondant aux Etats actuels du Montana, du Dakota du Nord et du Dakota du Sud, du Wyoming, du Minnesota, de l’Iowa, du Nebraka, du Colorado, du Kansas, du Missouri, de l’Oklahoma, de l’Arkansas et de la Louisiane, soit 2 100 000 kilomètres carrés. Au tarif de 7 cents américains par hectare, l’opération avait été évaluée à 15 millions de dollars : 100 % du budget fédéral annuel de l’époque. Le gouvernement avait dû emprunter : ce qui avait porté le coût total et réel, avec les intérêts, à 25 millions de dollars. Mais le jeu en valait la chandelle. Avec la Louisiane, la République américaine devenait véritablement un Etat-continent, un colosse géopolitique.

Cette même année 1803, les Etats-Unis consacraient 10 % de leur même budget fédéral à des rançons et autres largesses versées aux Etats dits « barbaresques » : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Ces quatre pays – un empire indépendant, le Maroc, et trois vice-royautés turques quasiment indépendantes – pratiquaient en effet la piraterie dans l’océan Atlantique et en Méditerranée : leurs felouques, légères, rapides, interceptaient les navires de commerce européens ou américains, s’emparaient de la cargaison et capturaient équipages ou passagers. Le sort des prisonniers était horrible : faute d’une rançon que les familles ou les organisations charitables ne pouvaient généralement pas payer, les femmes et les enfants étaient vendus à des fins d’exploitation sexuelle, et les hommes condamnés aux mines ou aux carrières, où la mortalité était de 50 % par an. Quelque chose entre le marquis de Sade et le Goulag.

Les puissances européennes, en guerre l’une contre l’autre, n’avaient ni les moyens, ni le temps, de mettre un terme à cette nuisance. Elles jugeaient plus simple de verser un « tribut » aux quatre tyrans nord-africains, en échange de leur « protection » : bref, elles se soumettaient à un racket d’Etat. Les Etats-Unis, situés dans un autre hémisphère, neutres dans les guerres européennes, sans marine de guerre, mais nation commerciale pour laquelle la sécurité des voies de communications constituait une priorité, ne pouvaient que se rallier, eux aussi, à cette politique.

Mais en 1803, le coût devenait exorbitant. Des membres du Congrès ou du gouvernement fédéral notaient que les Barbaresques, non contents de percevoir ces « tributs de la honte », exigeaient désormais des fournitures d’armes, de munitions et même de navires de guerre. Et qu’encouragés par la passivité des Occidentaux, ils se livraient, grâce à des armements sans cesse plus efficients, à de nouveaux arraisonnements, en dépit des accords passés, afin d’exiger chaque année un peu plus de numéraire. En additionnant tout ce qui avait été consenti aux Etats voyous nord-africains depuis l’indépendance, en 1776, on arrivait à une somme équivalente à celle qui venait d’être versée pour l’achat de la Louisiane. Dès lors, la solution n’était-elle pas de changer d’attitude et de langage, de consacrer l’argent des rançons et des rackets à la création d’une marine de guerre capable de faire respecter le nom des Etats-Unis, et de faire travailler les arsenaux américains pour l’Amérique, plutôt que pour le sultan du Maroc, le dey d’Alger, les beys de Tunis et de Tripoli ?

C’est en effet ce que firent les Etats-Unis. Ils se dotèrent d’une U. S. Navy, d’un corps de fusiliers marins - les Marines – et ils firent la guerre : bombardant Tripoli puis Alger. En 1827, les flottes anglaise, française et russe, instruites par l’exemple américain, écrasèrent les flottes turque et égyptienne à Navarin : ce qui assura l’indépendance de la Grèce. En 1830, la flotte française prit Alger et détruisit définitivement le régime barbaresque, non seulement en Algérie mais aussi dans le reste de l’Afrique du Nord.

Bien entendu, toute ressemblance entre ce récit historique et l’actualité européenne ou américaine de décembre 2007 ne saurait être que fortuite.

© Michel Gurfinkiel, 2007