22.3.08

SAVENT-ILS QUE JESUS ETAIT PALESTINIEN ?

Jean-Pierre Bensimon le 20 mars 2008
Par Bensimon Jean-Pierre
Thème : Religions et Civilisations

Rédaction d'Objectif-info:

Libération a publié dans sa livraison du lundi 17 mars, un texte particulièrement significatif d'une militante palestinienne, Susan Abulhawa. On trouvera ci-dessous quelques reflexions sur ce texte ainsi que le contenu intégral de cette contribution à la rubrique "Rebonds" du quotidien parisien.


Susan Abulhawa livre dans le numéro du 17 mars de Libération un échantillon très authentique du discours palestinien contemporain. Sa contraction en un texte succinct et incisif justifie une brève analyse, en cette époque de processus de paix bancal et de montée d’antagonismes très menaçants aux marches orientales de l’Europe.

Ce discours nerveux, fait de plainte et de refus torrentueux, aligne de fortes vérités. Celle d’abord « d’une culture et d’une histoire millénaire palestinienne. » Il y a bien, sur la terre du Proche-Orient, une histoire et une culture millénaires juive, chrétienne, romaine, arabe, une histoire centenaire ottomane, mais on ne connaissait pas de variété millénaire palestinienne. La dénomination de « Palestine », imposée par l’empereur Hadrien au 2ème siècle pour parachever son très pénible triomphe sur des Juifs irréductibles, n’a resurgi véritablement comme idée nationale qu’à partir du moment où la victoire de 1967 menait Israël sur les rives du Jourdain et à Gaza. On est bien en peine de trouver trace, dans le segment sud-ouest du sandjak de Damas, d’un chef, d’un auteur, d’une histoire ou d’une culture autonomes sur un territoire possédé par des chefs de clans résidant le plus souvent au loin, dont l’économie et la démographie étaient rythmés par les flux et les reflux de la barrière bédouine.

« Pays, » continue Susan Abulhawa, « jadis multiconfessionnel, multiethnique, multiculturel » devenu désormais « un espace exclusivement réservé aux juifs ». On croyait savoir que 20% de la population israélienne n’est pas juive, et que l’arabe figure avec l’hébreu comme langue officielle de l’État. Il semble à l’inverse que cette diversité soit en voie d’extinction rapide dans les Territoires dominés par les amis de Mme Abulhawa, où il ne resterait plus selon Mrg Sabbah, que 50 000 chrétiens, souvent sur le départ, minoritaires même à Bethlehem, contre 130 000 en Israël et 200 000 en Jordanie.

Les Israéliens se nourrissent, continue l’écrivaine, de récoltes qui proviennent « d’un sol fertilisé, enrichi par les dépouilles de mes ancêtres … les arbres qui leur donnent leurs fruits ont été plantés par ces mêmes ancêtres ». On croyait savoir aussi que les premiers avaient asséché les marécages des zones côtières et inventé une agriculture en milieu aride tout à fait innovatrice, expérimentée à grande échelle dans le Néguev. On avait en même temps le souvenir que la « colonisation » avait apporté à la Cisjordanie, avant l’arrivée de l’Autorité palestinienne, des rendements agricoles en progression tellement rapide qu’ils avaient rattrapé ceux d’Israël, bien après les travaux des ancêtres de Susan Abulhawa.

Son discours se poursuit, impitoyable pour ce maudit Salon du Livre qui a mis cette année à l’honneur la littérature israélienne. Il est coupable à lui seul d’effacer plusieurs millénaires de culture palestinienne, mais aussi d’être le complice de ceux qui veulent débarrasser le monde de ce peuple. Le Salon, combien de divisions ? D’où le cri de l’écrivaine, se sentant réduite avec les siens au silence, « dans notre agonie ». L’agonie prévient-elle, guette ce groupe humain. L’histoire démographique locale montre cependant que le peuplement arabe de la Palestine mandataire est étroitement corrélé avec les zones d’activité des immigrants juifs, et que depuis la création d’Israël la croissance démographique palestinienne est sans égale dans le monde, presque insensible à la correction actuelle des courbes de fécondité du monde arabe. En un mot voila une population en même temps à l’agonie et au faîte d’une mystérieuse mais très puissante poussée numérique, au terme de sa rencontre inopinée avec le judaïsme de l’époque moderne.

Mais la révélation la plus décisive de Mme Abulhawa est que « Jésus était palestinien. » Cette nouvelle vérité peut surprendre en Europe, mais elle est banale dans le logos palestinien. Jésus n’était pas juif, il était palestinien comme Mme Abulhawa, bien que l’empereur Hadrien ait donné à cette terre le nom des Philistins 102 ans après sa mort et sa résurrection, que ce nom apparaît pour la première fois sous la plume d’Hérodote au 5ème siècle, et que l’Islam constitutif du palestinisme de l’écrivaine ne se soit introduit dans la place qu’en 638.

L’identité palestinienne de Jésus dépouille le judaïsme de son existence antique, mais aussi de sa dissidence la plus célèbre. Il dépouille aussi le christianisme de sa filiation et de sa nouvelle alliance qui se substitue pour lui à l’ancienne alliance des Juifs.

Le discours palestinien de Mme Abulhawa est un discours psychotique. C’est un édifice parfaitement cohérent, mais tout aussi parfaitement, affranchi du principe de réalité. Il est à la fois fou et terre à terre - l’écrivaine n’oublie pas de donner à l’acheteur potentiel les références précises de l’éditeur de son dernier écrit. Il est aussi génocidaire. Les Juifs qu’elle accuse de déposséder, d’oppresser et de tuer, n’ont aucun titre historique, religieux ou éthique à exister dans un endroit où ils se gavent de surcroît des récoltes et des fruits des ancêtres palestiniens.

Le propos de Mme Abulhawa ne lui appartient pas vraiment. Sa construction psychotique est le socle idéologique que le Hamas aussi bien que le Fatah possèdent en partage, et que l’on débite comme une antienne aux nouvelles générations. C’est ainsi que tout un peuple se construit dans la négation du réel. Or, l’épreuve de la réalité précède l’épreuve de la nation. On ne construit pas un principe national sur des falsifications rudimentaires, on ne construit pas une idée nationale sur la négation et la haine.

Le discours psychotique prive les Palestiniens de projet et de devenir, aussi bien comme individus, comme groupe, que comme peuple. Leur premier impératif, c’est la liberté de comprendre, de juger, la liberté d’accéder à la réalité et de quitter le tourbillon de la psychose. C’est tout le mérite des outrances de Susan Abulhawa d’en apporter en creux la démonstration. Pour leurs amis, s’il est une obligation, c’est les ramener au monde et à sa complexité, certainement pas les entretenir dans le délire, la négation et le refus.


Contenu intégral de l'article de Mme Abulhawa
"Le Salon du livre efface l’histoire palestinienne"

Susan Abulhawa écrivaine Libération Rubrique Quotidien lundi 17 mars 2008

Quelle que soit l’ampleur de l’injustice commise à notre endroit, quel que soit l’enracinement de notre douleur dans le temps et dans le sol palestinien, il semble que le monde refuse toujours d’entendre notre voix et nous dénie toute existence historique, ne voyant en nous que des squatteurs, des terroristes, des créatures qui ne bénéficient pas du statut d’êtres humains et ne méritent ni leur propre terre ni leur patrimoine, qui n’ont pas le droit de se défendre ou de résister à l’oppression.

La dernière en date des institutions qui contribuent à effacer plusieurs millénaires de notre culture et de notre histoire palestiniennes est le Salon du livre, organisé sous les auspices du ministère de la Culture français. Tous les ans, cette foire du livre met un pays à l’honneur et fait connaître ses auteurs contemporains. Cette année, le choix s’est porté sur Israël, un pays comptant soixante ans d’existence, créé sur la terre de la Palestine antique, avec une population venue d’ailleurs (Europe, ex-Union soviétique, États-unis, Éthiopie, etc.) pour remplacer les Palestiniens qui, chassés de presque tout le pays, dépérissent, connaissent les conditions dégradantes des camps de réfugiés, sont soumis à une occupation militaire cruelle ou dispersés aux quatre vents.

Catastrophique sur le plan des droits de l’homme, largement en tête pour ce qui concerne les violations flagrantes des lois internationales et des résolutions de l’ONU, Israël s’est emparé d’un pays jadis multiconfessionnel, multiethnique, multiculturel et en a fait un espace exclusivement réservé aux Juifs. Cet État, dont le système d’apartheid a été dénoncé par des autorités morales aussi incontestées que Desmond Tutu et Jimmy Carter, est la nation que la France a choisi d’honorer lors de son prestigieux Salon. Jusqu’à une date récente, je croyais que tout n’était pas perdu. Naïvement, je pensais que la France accueillerait favorablement notre histoire et présenterait mon livre, The Scar of David, d’autant plus que la traduction française (les Matins de Jénine, Buchet-Chastel) est sortie le 6 mars. Ce récit, je l’ai arraché au plus profond de notre âme angoissée pour faire entendre le cri primal d’une nation violée. Mais aucun Palestinien - et même aucun Israélo-Palestinien - n’a été invité à cette manifestation. J’y ai vu une injonction à ne pas y participer. Comment une telle chose est-elle possible ? Les organisateurs savent-ils qu’Israël est juché sur des villages palestiniens évacués ? Que les récoltes dont se nourrissent les Israéliens proviennent d’un sol fertilisé, enrichi par les dépouilles de mes ancêtres, que les arbres qui leur donnent leurs fruits ont été plantés par ces mêmes ancêtres, à commencer par mes grands-parents, et ainsi depuis des siècles, sinon des millénaires ?

Indéniablement, je suis une fille de Jérusalem, bien qu’Israël ne voie pas en moi un être humain digne d’y vivre et d’y prospérer, à l’exemple de tous mes ancêtres. Les organisateurs du Salon du livre veulent-ils, à l’instar d’Israël, faire comme si la Palestine et les Palestiniens n’existaient pas, n’avaient jamais existé ? Savent-ils que Jésus était palestinien, et que la généalogie de nombreux chrétiens palestiniens remonte au Ier siècle ? Certains Palestiniens portent le nom de «Canaan». Aucun Israélien n’est aussi enraciné dans cette terre que cette famille Canaan dépossédée ! Est-il venu à l’esprit des organisateurs que les tribus hébraïques qui existaient en Palestine il y a trois mille ans sont plus sûrement mes ancêtres - si tant est qu’on puisse remonter aussi loin - que ceux des Juifs russes ou de n’importe quel groupe ethnique israélien importé ? A moins que le Salon du livre soit simplement complice des efforts incessants d’Israël pour débarrasser le monde de notre peuple, de notre mémoire, de notre culture, de notre histoire et de notre blessure béante ?

Le monde a hurlé son mépris en apprenant que Mahmoud Ahmadinejad aurait exprimé le désir de rayer Israël de la carte. Pourtant, depuis soixante ans, Israël raye la Palestine de la carte, en mots et en actes. A chaque détour du chemin, il y a un mur, une balle, un barrage pour nier notre existence, nous affamer, nous humilier. La mort nous arrive constamment par la voie des airs et des mers, au moyen d’armes sophistiquées. Tous les espoirs, les rêves que nous pourrions entretenir sont étouffés dans des camps de réfugiés indignes d’accueillir des êtres humains, mais que notre peuple subit depuis plus d’un demi-siècle. Dans le monde entier, les voix de nos dirigeants, artistes, écrivains et activistes sont réduites au silence lorsque nous tentons de parler, de protester ou, dans notre agonie, de hurler à l’aide. Pourtant, notre mise à mort ne suscite pas l’indignation ; au contraire, on étouffe le récit de notre douleur, on nous empêche de la faire connaître dans une exposition telle que le Salon du livre ! Pourquoi ? Qu’avons-nous fait pour mériter un tel sort ? Qu’avons-nous fait à la France ou au monde pour que personne ne s’élève contre une telle injustice ? On nous a tout pris, on nous a arraché le cœur pour la simple raison que nous n’étions pas juifs !

Quel a été notre crime pour que nous soyons à ce point exclus, forcés de négocier sans fin avec nos oppresseurs pour obtenir des droits élémentaires accordés au reste de l’humanité ? Pour qu’on nous traite de brutes lorsque nous osons rendre les coups ? Pourquoi personne ne veut-il entendre notre voix ? Quel espoir nous reste-t-il si même les amoureux des livres font comme si nous n’existions pas et n’avions pas, par conséquent, de récits dignes d’être lus ? J’ai toujours l’intention de me rendre à ce Salon. Je suppose que si les gamins palestiniens ont été assez courageux pour se battre avec des pierres contre des soldats armés de fusils et de tanks, je ne devrais pas avoir peur de me trouver confrontée à des hypocrites armés de livres et d’un programme douteux.
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