16.4.08

LA NOSTALGIE DU FUTUR : DE « QUATRE » A « CINQ » 


Mr Le Rabbin Daniel GOTTLIEB
Jerusalem Post

Comme la plupart des célébrations du calendrier hébraïque, la fête de Pessa’h s’inscrit dans le cadre d’une conception très particulière de l’engagement dans le temps. En effet, chaque fête - ne serait-ce qu’à cause de la date à laquelle elle tombe - évoque un événement du passé dont il est important de conserver le souvenir. Mais au cours de la célébration de la fête, il nous est également demandé d’accomplir un geste ou un rite qui a une signification dans notre présent. Enfin, l’un des contenus de la fête qu’il convient de ne pas négliger concerne l’avenir dont il s’agit de ne pas oublier les espérances qu’il véhicule, comme s’il nous était toujours demandé de conserver la nostalgie du futur.




Cette triple signification de la fête de Pessah apparaît de bien des manières, et notamment par certaines constatations concernant le chiffre « quatre ».


En effet, quatre est le nombre qui semble caractériser la célébration de Pessa'h et le déroulement du Séder.

On trouve ainsi quatre chabbatot spéciaux qui précèdent Pessa'h (Chekalim, Zakhor, Parah et ha-Hodech), les quatre questions que posent l'enfant (Ma Nichtana), les quatre coupes du Séder liées aux quatre expressions bibliques qui marquent les quatre étapes de la délivrance mentionnées dans le livre de l'Exode et, bien entendu, les quatre enfants de la Haggada.

Mais en y regardant de plus près on constate l'existence d'un cinquième élément qui appartient à chacun de ces groupes. Ainsi,

- aux quatre chabbatot spéciaux, il convient d'ajouter Shabbat Hagadol ;

- aux quatre questions posées par l'enfant dans le déroulement du Séder, il convient d'ajouter une question qui figure dans la Michna (Pessahim X, 1) et qui n'a pas été reprise dans la Haggada (« Tous les autres soirs, nous mangeons de la viande soit bouillie soit rôtie, ce soir seulement de la viande grillée… »);

- aux quatre expressions bibliques qui marquent les quatre étapes de la sortie d'Egypte, il convient d'ajouter le cinquième verbe de ce paragraphe : "Je vous conduirai sur la Terre…" (Exode VI, 6) ;

- aux quatre coupes que l'on boit au cours de la soirée du Séder, il convient d'ajouter la cinquième coupe dite "la Coupe du Prophète Elie".

S'il faut chercher une cohérence dans le texte de la Haggada, on devrait donc trouver un cinquième enfant à côté des quatre enfants que l'on connaît. Pour savoir qui il est, il convient de s'interroger d’abord sur ce que représentent les quatre « enfants » connus de la Haggada.

- Le « Sage » : la question que la Bible attribue à un "sage" est la suivante : « Que sont ces commandements, ces prescriptions et ces lois que l'Eternel votre Dieu vous a prescrits ? » (Deut. VI, 20). Si cette phrase biblique est attribuée à un sage, c'est parce qu'avant de poser la question, l'enfant a déjà beaucoup étudié : il sait que le judaïsme vécu comporte non seulement des usages et des traditions, mais également différentes catégories de mitsvot qui ne sauraient être englobées sous un même vocable. D'ailleurs, la réponse qu'on lui donne, et qui semble le satisfaire, est la règle pratique qui apparaît à la fin du traité de la Michna consacré à la fête de Pessa'h (X,8) : :"On ne doit rien consommer après l’Aficomane ". Tout se passe comme s’il attendait qu’on lui enseigne tout ce qu’il faut savoir, de A jusqu’à Z.

- Le « Racha » est celui à qui l’on attribue la question biblique : "Quel est ce culte que vous célébrez ?" (Exode XII, 26). Apparemment cette question n'est guère différente de la précédente, si ce n'est qu'elle est introduite dans la Bible par la formule : "Quand ton fils te dira : ‘quel est ce culte…’ ", et non par la formule que l'on attendrait "Quand ton fils te le demandera". Ce que cet enfant formule, sous forme interrogative, est en réalité une objection : celui qui la prononce n'attend pas de réponse ; c'est la raison pour laquelle la Haggada suggère qu'on lui dise que "s'il avait été contemporain des événements de la sortie d'Egypte, il n'aurait pas bénéficié des miracles et il n'aurait pas été délivré".

Réponse surprenante, car comment peut-on imaginer une sorte de sélection qui, à l'entrée du désert, aurait laissé passer les "enfants sages" et aurait refusé le passage aux rebelles ou aux contestataires ? En fait, s'il avait été contemporain des événements, il ne se serait simplement pas senti concerné par les invitations de Moïse à quitter une terre d'exil pour se diriger vers le Terre d'Israël : en faisant le libre choix de rester en exil, il aurait lui-même décidé, comme près de 80% des Hébreux de l'époque, de disparaître en tant qu'Hébreu pour se fondre dans la société égyptienne.

A chaque époque où des sorties d'exil ont été possibles, une fraction importante du peuple a préféré rester en terre d'exil, quitte à payer de leur vie, comme des millions de Juifs, ce choix délibéré de refuser, quand cela a été possible, de retourner sur la Terre d'Israël.

- Le « Tam » pose une question simple (Exode XIII, 14), et la Haggada nous demande de lui enseigner simplement l'histoire du peuple juif, ses valeurs et ses espérances.

- Quant à « celui qui ne sait pas poser de questions » ou qui ne sait pas même qu'il y a des questions à poser, la Haggada nous demande de prendre les devants et d'aller engager la conversation avec lui. Si les trois premiers enfants viennent poser des questions ou engager la conversation – même si c'est de façon agressive – on sait où et quand répondre à leur question ou à leur attente. Ce quatrième enfant, pour pouvoir lui parler, il faut à tout le moins savoir où le rencontrer. Sans chercher une actualisation artificielle ou trop schématique, on pourrait dire qu'il s'agit d'un enfant qui ne se pose aucune question d'ordre religieux, rituel ou théologique, mais qui fréquente, par exemple, un club de loisirs juif ou à une association sportive juive.

Connaissant une adresse où le rencontrer, c'est à nous qu'il appartient de le motiver pour un engagement plus intense dans la vie de sa communauté ou de son peuple. Il va de soi que, comme il ne se sent pas concerné par les messages que l'on peut souhaiter lui porter, il faut choisir un moment propice où il peut être réceptif à une invitation de ce genre. C'est ce que nous enseigne le texte de la Haggada qui dit que l'on doit chercher à engager la conversation avec cet enfant au moment où « les herbes amères sont placées devant nous », c'est-à-dire, dans les temps où apparaissent les premières manifestations d'antisémitisme symbolisées par le pain de misère et les herbes amères.

Le point commun entre ces quatre "enfants" c'est que l'on sait où et comment les rencontrer mais il ne faut pas oublier ce cinquième enfant qui représente aujourd'hui près de 80% du peuple juif : ce sont nos frères qui n'ont aucun contact avec aucune institution religieuse, cultuelle ou culturelle de notre communauté.

La leçon qu'il convient de tirer de cette réflexion, c'est que c'est à nous - nous qui appartenons aux quatre catégories dont parle la Haggada, nous qui sommes les enfants rescapés du peuple d'Israël - c'est à nous qu'incombe la responsabilité de porter témoignage du destin du peuple juif : après la sortie d’Égypte, la route du désert, la halte au pied du mont Sinaï où il a accepté la Torah qu’il s’est engagé à étudier et à appliquer. Tous les prophètes de la Bible ont répété que telle était la vocation et la mission du peuple d’Israël.

Passer du « quatre » au « cinq », c’est essayer de retrouver, de réintégrer, les enfants perdus du peuple juif, reconstituer autant que faire se peut l’entité du peuple juif.

Passer du « quatre » au « cinq », c’est aussi se référer au texte biblique qui annonce la Sortie d’Egypte (traduction du Rabbinat) : « Je veux vous soustraire aux tribulations de l'Égypte et vous délivrer de sa servitude; et Je vous affranchirai avec un bras étendu, à l'aide de châtiments terribles. Je vous adopterai pour peuple, je deviendrai votre Dieu » … Et y ajouter le cinquième verbe de ce paragraphe : « Je vous conduirai sur la terre que J'ai solennellement promise à Abraham, à Isaac et à Jacob; Je vous la donnerai comme possession héréditaire, moi l'Éternel. » (Exode VI, 6).

Passer de « quatre » à « cinq », ce sera d’ajouter aux quatre coupes que l'on boit au cours de la soirée du Séder, celle que l’on désigne sous le nom de " Coupe du Prophète Elie".

Ainsi, la soirée du Séder véhicule-t-elle la nostalgie du futur et l’espérance de « vivre d’autres fêtes, dans un avenir de paix, où nous serons heureux de la reconstruction de Ta Ville et réjouis de pouvoir y célébrer ton culte … » (extrait de la Haggada).

LE-CHANA HA-BAA BI-YROUCHALAÏM HA-BENOUYA