3.2.09

Dirigeants sionistes: Zéev Jabotinsky 1880-1940





Zéev Jabotinsky est né à Odessa en 1880. Il perdit son père dès l’âge de six ans, une tragédie qui plongea la famille dans la détresse économique. Un oncle conseilla à la veuve d’envoyer les enfants étudier une profession. Mais, en dépit de ses difficultés, elle souhaitait leur donner une bonne éducation.

En tant que centre d’activités juives et sionistes, Odessa était alors à son apogée ; Jabotinsky grandit imprégné d’une culture plus russe que juive. A l’âge de 18 ans, il quitta Odessa pour la Suisse et se rendit par la suite en Italie pour étudier le droit.

Dès l’âge de 14 ans, Zéev Jabotinsky fit des débuts prometteurs en tant que dirigeant et en tant que critique - critique du système de notation scolaire, qu’il publia dans un journal local. A Berne, devenu correspondant à l’étranger de deux journaux d’Odessa, il commença une longue carrière d’écrivain (signant du nom de plume “Altaléna”). Il rejoignit un groupe d’étudiants russes et s’intéressa aussi bien aux idées socialistes que sionistes.

Les articles de Jabotinsky étaient si populaires qu’en 1901, son journal le rappela à Odessa pour rejoindre l’équipe de rédaction. Sous l’impact du pogrom de Kichinev perpétré en 1903, il se lança bientôt dans les activités sionistes et d’auto-défense juive. Elu délégué au sixième congrès sioniste, Jabotinsky fut profondément impressionné par Herzl. Envieux de l’hébreu courant qu’il entendit parler au Congrès, Jabotinsky - qui parlait déjà le russe, le français, l’anglais, l’allemand et diverses langues slaves - acquit la maîtrise de l’hébreu, et devint un orateur et un traducteur accomplis. Ses écrits comprennent aussi bien des ouvrages de son cru - poèmes, pièces de théâtre, romans et petits traités philosophiques et polémiques - que des traductions d’oeuvres classiques, notamment une traduction inégalée, en hébreu, du poème d’Edgar Allen Poe : “Le Corbeau” et, en russe, des oeuvres du poète national hébraîque Chaîm Nahman Bialik.

Jabotinsky gagna la célébrité en tant que journaliste professionnel et chroniqueur qui donne à penser - mais avant tout en tant qu’orateur talentueux et passionné. Le ton de ses discours et leur message conféraient aux débats et aux aspirations sionistes un sentiment d’urgence, pas toujours partagé par les dirigeants juifs du courant général. Il voyagea dans l’ensemble de la Russie et de l’Europe - défendant la cause sioniste à Constantinople après la révolution des Jeunes Turcs - promouvant une activité politique internationale incessante, parallèlement à la poursuite du peuplement juif en Palestine.

Jabotinsky souligna l’importance de l’apprentissage de l’hébreu qu’il considérait comme un élément central de l’édification de la nation. Il fut même, pour une brève période, le professeur d’élocution des acteurs fondateurs du Théâtre Habimah, la première troupe théâtrale jouant en hébreu et qui devint ensuite le théâtre national d’Israël.

Alors que les sionistes socialistes encourageaient les juifs à combattre pour leurs droits civiques en tant que juifs dans leur pays d’origine, Jabotinsky se montrait sceptique quant aux voies de l’émancipation et affirmait que, pour les juifs, la délivrance - tant sur un plan personnel que pour l’entité nationale - ne se trouvait que sur la Terre d’Israël.

L’autodéfense juive - à la fois impératif de survie et expression de la fierté et de la confiance en soi susceptible d’anoblir l’esprit juif - était l’épicentre de la philosophie socio-politique de Jabotinsky.

Lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale en 1914, Jabotinsky se trouva en désaccord avec l’opinion prévalant dans le camp sioniste en matière de stratégie. Sceptique quant à l’éventualité que les Turcs ou les Arabes finiraient pas accepter les objectifs du sionisme, il défendit une tactique plus audacieuse. Convaincu de la victoire finale des Alliés, Jabotinsky, avec la coopération de Joseph Trumpeldor, lança un appel en faveur de la création d’une force juive qui combattrait aux côtés des Alliés pour libérer la Palestine de la domination ottomane. Les juifs pourraient ainsi avoir une place à la table des négociations de paix et le droit de réclamer la création d’un Etat juif indépendant en Palestine.

Malgré les réticences initiales des puissances alliées et du courant sioniste général, le Corps des muletiers de Sion fut créé en 1915. Cette unité combattit à Gallipoli mais fut par la suite dissoute. En dépit des objections des dirigeants officiels du sionisme, partisans de la neutralité afin de ne pas mettre en péril les juifs de Palestine, Jabotinsky réussit à convaincre le gouvernement britannique d’autoriser la formation de trois bataillons juifs. Homme d’action aussi bien que de parole, Jabotinsky devint officier du 38e Régiment des fusiliers royaux qui combattit avec le général Allenby en 1917 ; il fut décoré pour avoir dirigé la première compagnie qui traversa le Jourdain pour entrer en Eretz Israël. Après la guerre, Jabotinsky souhaita maintenir une unité juive pour contrer l’hostilité croissante des Arabes à l’égard du sionisme, mais l’unité fut dissoute par les Britanniques.

Installé en Palestine avec son épouse et leurs deux enfants, Jabotinsky devint rédacteur en chef du nouveau journal en hébreu Hadoar. Durant les émeutes arabes de 1920 à Jérusalem, il organisa la défense juive. Jabotinsky fut alors arrêté et condamné à une peine de prison de 15 ans par un tribunal militaire britannique, pour possession illégale d’armes. Il fut libéré quelques mois plus tard.

La même année, il commença à militer au sein des institutions sionistes. Après la Première Guerre mondiale, durant laquelle il s’était fait l’avocat de l’alignement avec l’Angleterre, il avait cependant perdu ses illusions lorsque la Grande-Bretagne avait retiré près de 80 % de la Palestine du mandat originellement destiné à constituer le Foyer juif, pour créer la Transjordanie (1922). Déçu par la Grande-Bretagne et extrêmement contrarié par la façon dont les sionistes s’accomodaient des revirements britanniques, Jabotinsky quitta l’Organisation sioniste en 1923.

Il constitua une fédération sioniste indépendante fondée sur la “révision” des relations entre le mouvement sioniste et la Grande-Bretagne. Cette fédération remettait activement en cause la politique britannique et réclamait ouvertement l’auto-détermination, c’est-à-dire un Etat juif. Les objectifs du mouvement révisionniste qu’il fonda comprenaient le rétablissement d’une Brigade juive pour protéger la communauté juive et l’immigration de masse vers la Palestine - proposant le chiffre de 40 000 juifs par an.

En 1925, la création de l’Union mondiale des sionistes révisionnistes ayant son siège à Paris fut annoncée. Dans les années qui suivirent, Jabotinsky se consacra à donner des conférences et à collaborer à des dizaines de publications pour promouvoir la cause dans le monde entier. Il vécut à Jérusalem entre 1927 et 1929. En 1930, alors qu’il se trouvait à l’étranger pour donner une conférence, l’administration interdit son retour en Palestine en annulant son visa de retour. Dans l’incapacité de rentrer chez lui, Jabotinsky combattit alors et jusqu’à sa mort, une décennie plus tard, en faveur de la cause sioniste dans le monde entier. En 1931, Jabotinsky exigea que le dix-septième congrès sioniste se prononce clairement en faveur d’un Etat juif mais les délégués refusèrent.

Sérieusement alarmé par la montée d’Hitler au pouvoir, Jabotinsky réclama un boycott immédiat de l’Allemagne par les juifs du monde, espérant ainsi écraser ce pays sur le plan économique, mais les dirigeants juifs et sionistes refusèrent de coopérer. En 1934, un accord fut signé entre Jabotinsky et Ben-Gourion, le dirigeant sioniste travailliste de l’époque, secrétaire général de la puissante Fédération du Travail et porte-parole incontesté du courant sioniste principal en Palestine. L’accord visait à atténuer les conflits entre les groupes ; la coopération aboutit cependant à une impasse lorsque la Fédération du Travail refusa de ratifier l’accord. Révisionnistes et travaillistes devaient demeurer d’âpres adversaires politiques dans les décennies suivantes.

En 1935, les Révisionnistes quittèrent l’Organisation sioniste pour protester contre son refus de déclarer nettement et sans ambiguîté que la création d’un Etat était son objectif ultime. Les Révisionnistes affirmaient également que les institutions sionistes étaient trop passives, ne remettant pas en cause les restrictions imposées par les Britanniques au rythme de développement du Foyer national juif et sabotant

les tentatives des juifs voulant fuir l’Europe pour se rendre en lieu sûr en Palestine. Jabotinsky fit porter l’essentiel de ses efforts sur l’assistance aux juifs désireux de gagner la Palestine par tous les moyens - légaux ou non. Conscient de l’imminence du danger, il appela, en 1936, à “l’évacuation” des juifs d’Europe orientale vers la Palestine pour résoudre le problème juif. Avec franc-parler et sans détours, Jabotinsky se présenta, en 1937, devant la Commission royale pour la Palestine déclarant que “la réclamation d’une majorité juive n’est pas notre maximum, c’est notre minimum”. Insistant sur le fait que prochainement 3 à 4 millions de juifs européens chercheraient un lieu sûr en Palestine, il compara les “exigences arabes face aux revendications juives” aux “exigences d’un homme affamé face à celles d’un homme qui va mourir de faim”. Ses partisans et lui-même affirmaient que l’ensemble du territoire du Mandat britannique sur la Palestine de 1920 - comprenant la totalité de la Terre d’Israël sur les deux rives du Jourdain - devaient faire partie de la patrie juive.

Lorsque la Commission Peel recommanda le partage de ce qui restait de la Palestine mandataire en deux Etats, Jabotinsky s’y opposa. Alors que les dirigeants sionistes acceptaient ce plan avec réticence, avec le sentiment qu’un Etat amputé valait mieux que pas d’Etat du tout, les Arabes le rejetèrent.

Les conditions en Europe se dégradant, Jabotinsky commença à soutenir la résistance armée clandestine contre les Britanniques en Palestine et, en 1937, devint officiellement le commandant suprême de l’Etzel - organisation militaire clandestine révisionniste. Il continua à oeuvrer pour le sauvetage des juifs d’Europe par tous les moyens, notamment les premières tentatives de contourner les restrictions à l’immigration en procédant à l’acheminement clandestin des immigrants arrivés par mer.

Il prévoyait, entre autres, de constituer une armée juive après la Seconde Guerre mondiale.

Jabotinsky mourut subitement d’une attaque cardiaque le 4 août 1940, alors qu’il visitait un camp d’été organisé à New York par le mouvement de jeunesse révisionniste, le Bétar.

Jabotinsky a laissé un héritage intellectuel de plusieurs milliers de papiers et documents - correspondance, discours, articles, pamphlets et livres - ainsi qu’un dictionnaire de rimes en hébreu inachevé, mais les seuls effets personnels trouvés sur lui au moment de sa mort consistaient en quatre dollars et une pipe.

Tout au long de sa vie, Zéev Jabotinsky était convaincu que l’Etat juif était une nécessité historique qui devait se réaliser et se réaliserait. Dans ses écrits, il rappelle comment, à l’âge de six ans, il avait demandé à sa mère si “les juifs n’auraient jamais un Etat à eux”. Sa mère lui avait répondu: “Bien sûr, mon petit fou”. Jabotinsky, qui a consacré sa vie à la création d’un Etat juif, n’a jamais remis en question la véracité de cette réponse. En 1935, cinq ans avant sa mort, Jabotinsky avait rédigé son testament, acceptant qu’à sa mort il soit enterré n’importe où, tout en demandant que son cercueil soit transféré en Israël “sur les seules instructions du gouvernement juif ki takoum “qui sera créé”. Sans conditions.

En 1965, le cercueil de Zéev Jabotinsky fut inhumé au mont Herzl à Jérusalem.


par Samuel Flatto-Sharon